mercredi 31 décembre 2014

Bonne Année 2015


Norvège, 1995.
Werner J. HANNAPPEL (1949)*
Source : RMN
Campagnes et îles atlantiques, Ouest et Centre-Ouest
Werner J. HANNAPPEL (1949)*
Source : Mission Photographique de la DATAR
 
* : http://www.wernerhannappel.com/


Hélène De HARVEN (1864 - 1949)




   Il est fort surprenant qu’Hélène De HARVEN ne soit pas aujourd’hui plus célèbre tant le parcours de cette femme fut extraordinaire. Écrivain, peintre, photographe, aventurière, mais aussi infirmière durant la guerre 14 - 18, Hélène de Harven aura été une femme talentueuse, libre et surement comme l’évoque le Dictionnaire des Femmes Belges, originale. Elle naît en 1864 à Hoboken au sud d’Anvers en Belgique dans une famille que nous imaginons bourgeoise. Ses humanités passent par l’art et elle sera l’élève du peintre Émile Claus (1849 - 1924) qui l’illustrera dans l'une de ses toiles ; Mademoiselle Hélène de Harven au jardin. Infirmière de formation, elle s’intéresse à l’anthropologie. En 1891, elle part pour le Canada vivre et étudier les Indiens pendant deux ans. Dans un article dénommé : « Comment les Peaux-rouges se civilisent… et disparaissent », elle dresse le constat lucide du déclin de la civilisation indienne en concluant que « du peuple disparu il ne restera bientôt plus qu'un farouche souvenir ». Son périple la mène au Japon puis en Chine. A son retour en Europe au début des années 1900, Hélène de Harven publie de nombreux ouvrages sur ses souvenirs, pour certains illustrés de sa main (Waïda, Dans les Laurentides, L’Éxilé) et devient conférencière. Sous le titre de Tante Hélène, elle rédigera également de nombreux livres pour enfants. Hélène de Harven se marie en 1910 à Maurice Fouché, vice-président de la Société astronomique de France, puis en 1914, part au front pour soigner les blessés. Elle en sortira distinguée de la Croix de Guerre.
Si l'oeuvre plurielle d'Hélène de Harven a pu souffrir du temps, elle reste le témoignage d'une femme hors norme dont la liberté et l'engagement furent exceptionnels. Hélène de Harven décèdera en 1949 à Zaventem en Belgique à l'âge de 85 ans.

lundi 29 décembre 2014

Gaston La Touche (1854 - 1913)

  
 
   Le Musée des Avelines* à Saint-Cloud accueille jusqu’au 1er mars 2015 une exposition importante sur l’artiste Gaston LA TOUCHE (1854 - 1913). Avec quatre-vingt-dix œuvres présentées, il s’agit de la première rétrospective récente consacrée à cet artiste prolifique et original.
Autodidacte, Gaston La Touche fut à la fois peintre, graveur, pastelliste, illustrateur, sculpteur et décorateur. Le réalisme de ses premières œuvres aux tonalités sombres laissera progressivement place à une peinture joyeuse et colorée illustrant les bals, les jeux d’eaux des fontaines et des scènes intimistes.
Dans les années 1890, Gaston La Touche voyage en Bretagne et illustre la ferveur religieuse qui y règne. Il réalise en 1893 le magnifique portrait ci-dessus d’une jeune communiante du Léon, puis en 1896, dans une savante composition de clairs obscurs, un pardon en Bigoudénie (ci-dessous). Cette œuvre, représentant non sans un certain lyrisme, l’âme bretonne, sera acquise par le magnat américain Martin A. Ryerson (1856 - 1932) et sera léguée en 1933 à l’Art Institute de Chicago où elle peut être aujourd’hui contemplée.
 
 
Au faîte de son succès, l’artiste disparaît prématurément à l’âge de 59 ans et tombe progressivement dans l’oubli. L’intérêt pour l’œuvre de Gaston La Touche renaît à l’étranger notamment grâce au travail de Selina Baring Maclennan, qui publie en 2009** le premier livre sur cet artiste doué, dont la critique vantait à juste titre, la bonté d'âme.
 
** : Gaston La Touche, A Painter of Belle Époque Dreams, Selina Baring Maclennan, Editions Antique Collectors’ Club, 2009. Les experts Roy Brindley et Selina Baring Maclennan travaillent sur le catalogue raisonné de l'artiste. Vous retrouverez sur leur site http://www.gastonlatouche.com/ de plus amples informations sur Gaston La Touche.
 

jeudi 18 décembre 2014

La salle à manger de l'Hôtel Brøndum


Peder S. Krøyer par Marie Krøyer
 Marie Krøyer par Peder S. Krøyer
Double portrait,1890.

   Le temps, quelquefois les guerres, ont fait disparaître les lieux où vécurent et créèrent de nombreux artistes du XIXème. Les maisons ont vu les ateliers dispersés et les œuvres migrer vers les collections et les musées, emportant ainsi une partie de l’âme des créateurs. Il subsiste toujours quelques lieux d’exception qui vous plongent directement dans l’époque à laquelle ils se réfèrent et vous font côtoyer tel un hôte, ceux et celles qui en furent jadis les maîtres. La réussite ou l’aisance matérielle des artistes ne furent pas étrangères à la conservation de ces lieux jusqu’à nos jours. L’existence de Giverny de Claude Monet, de la villa des Brillants d’Auguste Rodin à Meudon, ou de la résidence de Gustave Moreau au 14 de la rue de la Rochefoucauld à Paris en sont les témoignages*. 

A côté de ces maisons et villas, les auberges et hôtels tinrent une place essentielle. Ces lieux de rencontre et d’échanges entre les artistes furent telles des gares, des endroits formidables de passage, de rencontres humaines et d’enrichissements mutuels. Citons les plus connus : l’auberge Ganne à Barbizon, la Pension Gloanec à Pont-Aven qui précéda l’auberge de Marie Henry au Pouldu ou l’hôtel Chevillon à Grez-sur-Loing. Si la France attirait alors les artistes du monde entier, l’histoire se répétait dans de nombreux pays. Le Repos des Artistes à Anseremme en Belgique, l’hôtel Spaander à Volendam aux Pays-Bas ou l’hôtel Brøndum à Skagen au Danemark furent le cœur de ce qui sera consacré plus tard comme des Écoles. Dans les salles à manger, les colonies d’artistes dialoguaient librement sur les œuvres et les styles, à distance de cet enseignement académique souvent honni. Les artistes prenaient possession des lieux et les salles à manger devinrent des lieux d’exposition. Même si parfois, plus prosaïquement, leur décoration était le fruit de dettes honorées auprès de l’aubergiste.

La salle à manger de l’hôtel Brøndum à Skagen à la pointe du Danemark est à ce titre un vestige unique. Situé près de la plage où se rencontrent les mers du Nord et de la Baltique, l’hôtel était alors le seul lieu d’hébergement de ce modeste village de pêcheurs. Le poète et mariniste Holger Drachmann (1846 - 1908) est le premier en 1872 à redécouvrir ces paysages lumineux et sauvages que visita Hans Christian Andersen (1805 - 1875). Holger Drachmann y entraîne ses élèves Carl Locher (1851 - 1915) et le norvégien Frits Thaulow (1847 - 1906). Suivront de nombreux jeunes peintres talentueux issus de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Copenhague. Les plus emblématiques seront incontestablement Michael Ancher (1849 - 1927) et son épouse, l’artiste Anna Ancher Brøndum (1859 - 1935), la plus jeune fille des propriétaires de l’hôtel. Mais surtout Peder Severin Krøyer (1851 - 1909) et son épouse Marie (1867 - 1940).


Dans la magnifique photo ci-dessus prise dans les années 1890, nous les retrouvons attablés dans la salle à manger. De gauche à droite sont présents : Degn (1856 - 1932) et Hulda Brøndum (1853 - 1935), frère et sœur d’Anna Ancher assise au centre, Marie Krøyer, Michael Ancher de dos, et enfin Peder S. Krøyer. Dans la frise murale des portraits, on remarque celui de Degn Brøndum dans le rond central. De profil, Marie et Peder S. Krøyer sont à sa droite tandis que Michael et Anna Ancher figurent à gauche. 


La décoration de cette salle à manger fut sans doute à l’initiative de Peder S. Krøyer qui s’inspira de celle de l’auberge Margat à Cernay-la-Ville en France où il résida en 1879. Il en démarre les premiers portraits en 1883 et sera avec Michael Ancher l’un des principaux artisans. L’œuvre n’en est pas moins collective avec la participation de 35 artistes**. La nature amovible des panneaux et des portraits donnera à cette pièce son caractère de salle d’exposition. Elle permettra également durant l’occupation allemande d’en cacher l’intégralité des œuvres. En 1946, la salle reconstituée rejoint le musée de Skagen échappant ainsi aux futurs dommages des incendies qui touchèrent l’hôtel Brøndum en 1954 et 1959. Aujourd’hui visible telle qu’elle fut il y a plus d’un siècle, la salle à manger de l’hôtel Brøndum est un témoignage unique et émouvant sur ce que fut, avant d’être une colonie, une véritable communion d’artistes. 



* : sur ce sujet, nous vous recommandons la lecture du livre Maisons d'artistes rédigé par Gérard-Georges Lemaire avec des photographies de Jean-Claude Amiel, Éditions du Chêne,2012.
** : In The Skagen Painters, Skagen Museum, 2009. Brøndum's dining room by Mette Bøgh Jensen.       

jeudi 11 décembre 2014

Frans TIMÉN (1883 - 1968)




    Frans Helge TIMÉN est né le 6 janvier 1883 à Göteborg sur la côte ouest de la Suède. En 1898, sa famille rejoint la ville portuaire de Vänesborg à une centaine de kilomètres plus au Nord où le père de Frans est juge. L’enfant est attiré par l’art et cet univers est pour lui l’occasion de faire ses premiers croquis. Au début des années 1900, Frans revient dans sa ville natale et intègre en 1906 l’école des Beaux-Arts Valand (photo ci-contre). Il y a pour maître Carl Wilhemson (1866 - 1928) qui marquera profondément son oeuvre. Frans Timén expose ses premières œuvres à Göteborg mais aussi à Stockholm avec d’autres élèves des Beaux-Arts : Mollie Faustman (1883 - 1966), Carl Luthander (1879 - 1967) et Gustav "Gösta" Törnqvist (1885 - 1936).


L’artiste réside à Paris durant les années 1911 et 1912 où il est marqué par Cézanne et le cubisme. En 1918, le peintre déménage à Stockholm, puis voyage dans les années 20 en Espagne visitant notamment Majorque. Il s’installe à son retour au coeur de la Suède à Finnerödja où son ami d’enfance et mécène, l’industriel Gunnar Wilhelm Andersson (1889 - 1960) lui permet d’habiter une aile de son manoir. En 1926, Frans fait partie du groupe d’artistes modernistes dénommé les Optimistes, qui expose collectivement en marge de l’Académisme jusqu’au milieu des années 30.


Le peintre épouse en 1936 Gerd Widell (1905 - 1942), professeur en textile, alors de 20 ans plus jeune. Installé à Örebro, le couple a un fils unique, Erik. Gerd décède prématurément d’un cancer à l’âge de 37 ans laissant Frans, à près de 60 ans, élever seul son fils. Ce drame nouera des relations très fortes entre le père et son fils.
Frans Timén devient membre de l’association Färg och Form (couleur et forme) en 1948 puis intègre l’année suivante l’Académie Royale. Devenu professeur, l’artiste ne cessera pas d’exposer. Il décède en 1968 dans sa ville d’Örebro à l’âge de 85 ans et repose au cimetière de Vänersborg.


L’oeuvre de Frans Timén s’inscrit dans la lignée de celle de son maître Carl Wilhemson. Une peinture économe en matière où les couleurs en demi-teintes laissent à la lumière toute sa place. Sobres et pleines d’humilité, les peintures gardent des accents synthétistes avec un dessin très présent où les formes souvent tracées ne reçoivent qu’une unique couleur. Les rivages du Bohuslän et de Vänersborg, comme les reliefs de Bergslagen, seront les sujets de cette oeuvre naturaliste et moderne. En 2008, Erik Timén éditera une biographie de son père et fera don d’une partie de son oeuvre au Musée de Vänersborg. Son père est également présent dans de nombreux musées suédois.



mercredi 10 décembre 2014

Regards croisés : Le Vent


   
   Dans cette oeuvre, le peintre allemand Hans VON BARTELS (1856 - 1913) fait figurer trois générations de femmes assises dans les dunes à l’abri d’une palissade. Face au vent qui courbe les oyats, la grand-mère scrute avec inquiétude l’horizon. Sans doute sait-elle par expérience ce que la tempête signifie pour ceux qui sont en mer. Sa fille est toute à l’attention de son enfant, symbole d’espoir et d’avenir. L’œuvre réalisée aux Pays-Bas où séjourna longuement l’artiste, exprime la communion des familles de marins que la mer sépare et parfois endeuille. Hans Von Bartels marie ici avec sensibilité le sort des femmes à celui de leurs époux.


Dans cette œuvre aux tons gris, Maxime MAUFRA (1861 - 1918) décrit une scène habituelle des côtes bretonnes. Les arbres sont devenus obliques sous la force des vents dominants et les embruns salés ne laissent exposés que des troncs dénués de branches. La toiture d’un bâtiment de la ferme est manquante sans doute détruite par les assauts du vent. Un chien assis guette, humant l’air porteur de l’imminence d’une prochaine tempête. Le dos courbé et les mains dans la terre, la femme ne s’en préoccupe pas. A l’inverse de l’œuvre d’Hans Von Bartels, Maxime Maufra ôte tout sentimentalisme à la scène et décrit dans cet environnement hostile la volonté et l’abnégation des femmes.


Le vent tient dans l’œuvre du peintre malouin, Jean-Julien LEMORDANT (1878 - 1968) une place importante. Il l’illustrera souvent dans les cortèges de pardons bretons en Bigoudènie où flottent les tabliers et rubans des costumes colorés. L’œuvre ci-dessus, réalisée en 1965, est distincte. Dans un cadre lumineux, presque monochrome, l’artiste privilégie l’immensité du paysage. Au premier plan, deux femmes luttent contre les éléments. Le peintre adopte un point de vue en hauteur afin d’accroître le sentiment de puissance du souffle qui balaye la plage. Un groupe au loin s’est éloigné laissant les femmes seules et sans défense, comme perdues dans cette immensité désertique. Jean-Julien Lemordant souligne ici la fragilité humaine face aux forces supérieures de la nature.


L’artiste suédoise Ruth MILLES (1873 - 1941) dans ce magnifique bronze d’une jeune hollandaise, illustre parfaitement le souffle du vent. Sa force ne permet pas d’y faire face et avec renoncement, la jeune femme se laisse emporter. Elle agrippe sa coiffe pour conserver face aux éléments déchaînés, le symbole de son identité. Ruth Milles donne à son modèle un visage grave comme pour souligner qu’il ne s’agit pas du jeu malicieux d’une bourrasque s’amusant à décoiffer les jeunes filles, mais qu’au contraire, nous sommes face à une confrontation, un combat perdu contre les éléments. Cette populaire sculpture s'inscrit pleinement dans l’œuvre de Ruth Milles qui souligna avec une tendresse particulière, le sort de ces femmes et jeunes filles travaillant sans relâche à la vie de leurs foyers.


dimanche 12 octobre 2014

Arthur BIANCHINI (1869 - 1955)

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   Sans doute d'origines italiennes, le peintre suédois Arthur August Teodor BIANCHINI naît le 18 octobre 1869 à Stockholm. Il étudie à l’Académie Julian à Paris durant les années 1889 et 1890 auprès du peintre académique Jules Lefebvre (1836 - 1911). Durant ces années parisiennes, avec Fritz Lindström (1874 - 1962), Björn Ahgrensson (1872 - 1918) et Knut Äkerberg (1868 - 1955), il fait partie d’un groupe d’artistes proches d’Ivan Aguéli (1869 - 1917) dont le synthétisme influencera certaines de ses œuvres.


En 1891, le peintre rejoint la Suède et fait partie de l’école de Varberg fondée par Richard Bergh (1858 - 1919). En 1902, à l’instar sans doute de l’exemple danois, Arthur Bianchini forme le mouvement De Frie qui réunit autour d’expositions communes la jeune génération d’artistes suédois. Début 1908, la revue L’Art et les Artistes l’évoque en ces termes : « Actuellement en Suède comme partout ailleurs, il y a une tendance à organiser des expositions aussi petites que possible. On estime avec raison que les œuvres d'un artiste se présentent mieux en groupe et avec des œuvres similaires. Les gigantesques expositions « inartistiques » qui rendent impossible toute contemplation intime, où tout ce qui est beau se noie dans le médiocre et le mauvais, ont pour ennemis convaincus les meilleurs de nos artistes. Le Konstnarsforbund (Alliance des Artistes) a contribué pour une large part à ce résultat, bien qu'il ait peut-être été un peu loin dans sa crainte des expositions. (…) En Suède comme ailleurs, on trouve à foison des directions nouvelles et des groupements nouveaux. On en rencontre qui recherchent une technique aussi rêche que possible et fuient l'élégance des formes comme la peste. Dans ce nombre on peut ranger le groupe qui s'appelle « les Libres ». A leur exposition, on a remarqué les marines de Bianchini, violentes de couleur, et Bengt Hedberg, paysagiste d'une certaine mélancolie âpre, mais virile.


En 1903, Arthur se marie à l’artiste peintre Lisa Wadström (1867-1943). Le couple part s’installer sur l’île de Santahamina dans la ville d’Helsinki à la faveur de la ligne maritime reliant la Suède à la Finlande, alors sous souveraineté russe. Arthur Bianchini y puisera une source d’inspiration en illustrant les ports et ses paquebots. Le couple a une fille Bianca née en 1905 qui deviendra plus tard la bibliothécaire en chef de la ville de Norrköping. 


La peinture d’Arthur Bianchini sera essentiellement tournée vers le monde marin des ports et rivages de la Baltique. Dans une peinture contrastée aux couleurs chaudes, l’artiste illustrera fréquemment les plages de Santahamina où l’ombre de pins isolés relie la douceur de vivre à un sentiment de solitude proche du symbolisme. Douze ans après son épouse, Arthur Bianchini décèdera en 1955 à l’âge de 86 ans. Avec seulement deux expositions rétrospectives en 1939 et 1972, l’artiste reste encore méconnu malgré sa présence dans quelques grands musées suédois. Brigitte Rubin sera la première en 1995 dans l’ouvrage Arthur Bianchini, le peintre oublié de Santahamina à rendre hommage à l’œuvre de cet artiste pluriel.




dimanche 7 septembre 2014

Peder KNUDSEN (1868 - 1944)



   Le Matin évoque dans ses éditions de 5 heures du 21 et du 23 janvier 1927, l’exposition du peintre danois Peder KNUDSEN rue du Faubourg-Poissonnière à Paris. L’encart du 21 janvier qui qualifie de façon erronée l’artiste de grand "peintre suédois", est laudatif : « C'est une bien intéressante exposition que celle des œuvres du peintre suédois, M. Peder Knudsen, qui vient de s'ouvrir salle Poissonnière (7. Faubourg-Poissonnière). Il y a, dans ses paysages de Norvège - et de Danemark aussi - toute la somptuosité tantôt légère et tantôt massive des neiges, dans la transparence des glaces et la vie des eaux repoussées par ces blancheurs, un art dont la maîtrise n'a guère été égalée, et une touche infiniment délicate dans ces vapeurs qui traînent leurs écharpes au creux des bois et au faite des montagnes. Romsdalen Andalsnes, Vallée de Valdres, Temps gris, Slettafossen en hiver, que nous reproduisons ici, Soleil et neige, Ferme norvégienne… pourquoi citer des toiles qui sont toutes d'un maître ?
Mais le vigoureux talent de M. Peder Knudsen excelle avec la même maîtrise dans l'évocation des types bretons et de l'Océan, tantôt rêveur et mystique, tantôt héroïque et rude, toujours admirable par l'éclat de la couleur et la fermeté du trait. Et il faut signaler combien il est rare de trouver tant de qualités dans une œuvre si variée. » Le quotidien écrit deux jours plus tard : « Le peintre danois Peder Knudsen expose actuellement, salle Poissonnière, une soixantaine d'œuvres parmi ses plus récentes. Cette exposition, composée de peintures de Bretagne, de Norvège et de Danemark, confirme les qualités de paysagiste de M. Knudsen, qui nous avait déjà donné des preuves de son talent. Il y a là d'excellentes « vues » de neige, des rochers bretons, saisissants d'âpreté des sous-bois admirablement aérés. On ne saurait négliger de mentionner les intérieurs d'églises bretons, le nostalgique Bois au bord de la mer, à Saint-Guénolé le Coucher de soleil à la Pointe du Raz, ni le remarquable Calvaire de Saint-Tugen. »


Peder Jacob Marius Knudsen nait le 19 septembre 1868 à Copenhague. Ses parents Jacob Peter et Trine Marie sont originaires de Sorø dans la région du Sjælland. Le recensement danois de 1885 nous apprend que Jacob est directeur d’une entreprise de charbon et de bois de chauffage à Copenhague. Peut-être, cet environnement familial bourgeois permit-il à Peder d’étudier les arts ? Le recensement nous informe qu’à 17 ans il est déjà peintre. 
Elève à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague dont il sera primé, Peder Knudsen vient à Paris parfaire sa formation auprès de Léon Bonnat (1833 - 1922). L’artiste voyagera énormément en Europe séjournant en Finlande de 1902 à 1918, pays de sa première épouse Rebekah Katarine Jensen, puis au Danemark. Il visitera la Bretagne (ci-dessous la place de l'Église à Pont-Croix), la Suisse et la Norvège et exposera de nombreuses fois, fréquemment à Copenhague.


Peder Knudsen laisse une œuvre académique au réalisme parfois saisissant. Sa peinture naturaliste inspirée par l’école de Barbizon, s’exprimera avec talent dans ses marines des rivages de Skagen ou de l’île de Bornholm. Peintre nordique par excellence, l’artiste décédera le 3 juillet 1944 dans sa ville natale à l'âge de 76 ans. 

dimanche 6 avril 2014

Louis Marie DÉSIRÉ-LUCAS (1869 - 1949)



   Dans un coin d’une salle du Musée des Beaux-Arts de Brest se trouve une peinture de taille modeste d’une jeune fille posant de profil l’air grave et digne. Les couleurs sombres donnent au portrait une note solennelle, presque tragique. Avec virtuosité, l’artiste a centré son œuvre sur les reflets nacrés de la coiffe. Si cette peinture a la maîtrise et la majesté des portraits flamands du siècle d’or, elle n’est pas celle d’un peintre de cour illustrant une quelconque jeune fille de noblesse.


De façon extraordinaire, cette œuvre est celle d’un garçon de 16 ans. L’artiste Louis Marie DÉSIRÉ-LUCAS l’a réalisée en 1886 sur l’île d’Ouessant au large du Finistère en Bretagne. L’histoire nous apprend que le modèle est une jeune fille de sept ans dénommée Marie-Hélène Malgorn. Louis Marie Désiré Lucas, élève au Lycée de Brest est passionné de dessin depuis sa prime enfance. « A quatre ans, disait-il, je faisais déjà des fugues au port, où mes parents affolés me retrouvaient en train de dessiner les bateaux… » (1).
Cette Jeune Ouessantine restera profondément attachée au parcours du peintre. L’écrivain breton Auguste Dupouy (1872 - 1967) nous le rappelle dans L’Art et les Artistes en 1930 : « Avec une légitime piété pour ces lointains débuts, (Désiré-Lucas) garde dans ses archives d’artiste une certaine Petite Ouessantine qui date de 1886 (il n’avait pas dix-sept ans), fin et grave profil de fillette, dont la coiffe presque monastique accuse la gravité. » La toile aide sans doute l’artiste à décrocher la modeste bourse de la ville de Brest qui lui permet de rejoindre Paris en mai 1889. Admis aux Beaux-Arts en 1891, l’artiste devient l’élève des portraitistes William Bougereau (1825 - 1905) et Tony Robert-Fleury (1837 - 1911). Aussi utile fut-il, cet académisme fut pour Désiré-Lucas un enseignement à rebours qui aboutira au refus au Salon de 1896 de son Ave Maria (2).
La rencontre de Désiré-Lucas avec Gustave Moreau (1826 - 1898) marque une rupture pour le peintre et la Jeune Ouessantine y joue un rôle central. Auguste Dupouy nous conte l’histoire (2) : « Peu d‘artistes contemporains auront connu à ce point l’angoisse de ces carrefours de la vie – compita vitae – dont parlait il y a dix-neuf siècles le poète Perse. Que résoudre ? D’autres eussent fait de la banque. Mais Désiré-Lucas, Breton têtu, n’est pas de ceux qui renoncent. Ce qu’il lui faut, c’est un remontant. Un paquet de toiles et d’études sous le bras, il va trouver Gustave Moreau, le grand artiste qu’il admire en secret, qu’il place plus haut que tous dans sa vénération. L’accueil est plein de bienveillance et de franchise. Désiré-Lucas a lui-même relaté, dans une revue d’art, cette entrevue. Le maître alla jusqu’à lui demander :
-          Et si je vous disais d’abandonner la peinture, que feriez-vous ?
La réponse fut celle qu’il prévoyait sans doute : le conseil ne serait pas suivi. Alors il soumit le visiteur à une épreuve décisive. Il le laissa seul quelques instants, en le chargeant de ranger contre un mur, lui-même, par ordre de mérite, ces œuvres inégales, parmi lesquelles il en voyait une de grande qualité.
« Sans le moindre tâtonnement, écrit Désiré-Lucas, je classai chaque chose à sa place définitive.
La tête de Jeune Ouessantine prit la première place, puis mes croquis d’enfance et de jeunesse ; ensuite un vide, un grand espace, et très loin, un peu dans l’ombre, mes études d’atelier             
« Mon grand juge apparut. Au premier coup d’œil il sourit, approuve et me dit :  « - Mon petit, vous êtes sauvé. ».
Loin de Paris, Désiré-Lucas poursuit une brillante carrière, couronnée par son élection à l’Académie des Beaux-Arts le 11 avril 1943 en remplacement du portraitiste Jacques-Émile Blanche (1861 - 1942). La presse rappelle que ses toiles célèbrent la beauté des sites bretons et écrit : « On lui doit aussi quelques portraits, en particulier une « Ouessantine » qui est célèbre. »
Désiré-Lucas décédé en 1949 ne se départira jamais de cette œuvre si intimement liée à son parcours. La toile dédicacée « A ma femme bien aimée, 20 juillet 1901 » fait l’objet d’un don par la famille de l’artiste au Musée des Beaux-Arts de Brest en 1970 grâce notamment à l’intermédiaire du peintre breton et élève de Désiré Lucas, Jim Sévellec (1897 - 1971). 
En avril 2012, le Musée présente le tableau restauré grâce à l'association et société «Pour l'étude de l'œuvre du peintre Désiré-Lucas» et quelques mécènes.

1. In Désiré Lucas, Amicale pour l'étude de l'oeuvre du peintre Désiré Lucas, catalogue de l'exposition au MBA de Brest, 25 septembre - 27 octobre 1995
2. Auguste Dupouy, DÉSIRÉ-LUCAS, L'Art et les Artistes, 1930